Vivre à la campagne

Savez-vous planter des fleurs? Les fermes florales : une industrie qui a de l’avenir

Par Annie Martel

© Picaflore.

Depuis déjà quelques années, l’envie d’un retour à la terre et à la culture biologique se fait sentir partout sur la planète… et le Québec n’y échappe pas. Les entreprises écoresponsables sont de plus en plus mises en avant-plan, un « must » pour la sauvegarde de la Terre. L’avènement des jardins communautaires, le partage de semences et l’art d’agencer des fleurs ont mené à l’apparition grandissante d’un tout nouveau phénomène dans le monde de l’horticulture, les fermières-fleuristes. Ce phénomène a été inspiré par une ferme florale de la côte ouest des États-Unis, Floret Flowers. La culture de fleurs à petite échelle et à faible impact environnemental combinée à la fleuristerie a eu écho au Québec. Survol…

Une industrie qui a de l’avenir

À l’heure actuelle, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) répertorie environ 50 fermes florales au Québec. La plupart de ces fermes se retrouvent en Estrie ou encore en Montérégie. Cela s’explique selon les zones de rusticité. Cette donnée indique essentiellement le degré de froid que les plantes auront à subir l’hiver dans une région en particulier. Plus le chiffre est petit, plus le climat de la région est froid. Au Québec, les zones vont de 0 (si froide qu’aucune culture n’est possible) à 5 (où le climat est le plus doux). Chaque zone est subdivisée en deux : la partie « a » est la plus froide; la partie « b », la plus chaude. Ainsi, la zone 5b, par exemple, profite d’un peu plus de chaleur hivernale que la zone 5a. Comme les régions de la Montérégie et de l’Estrie sont dans des zones 4 et 5, elles présentent un climat favorable pour ce type d’entreprise.

© Éden Dunn.

Mano Capano, de Pivoines Capano, a été l’une des premières à posséder une ferme florale dans la province, il y a maintenant plus de 20 ans. Situés à Saint-Augustin-de- Desmaures, ses champs comptent plus de 14 000 plants de pivoine issus de 300 variétés différentes. Certaines grosses fermes florales comptent plus de 300 000 fleurs coupées par année. Visiblement cette industrie est… florissante.

À ce jour, il n’y a pas vraiment de formation pour ce type de domaine. L’Union des producteurs agricoles offrait en 2019 un cours de six heures sur l’introduction des fermes florales et les fleurs coupées, mais depuis il ne semble pas y avoir d’autres formations qui ont été ajoutées. Par contre, l’entraide est au rendez-vous. La compétition dans ce domaine ne se fait pas encore sentir et c’est bien tant mieux.

Propriétaire de Picaflore, qui veut dire colibri en espagnol, Valérie Goulet a cofon­ dé en 2019, en compagnie de Bernadette Ouellette, de Bouquets de Bonheur, le groupe Facebook Les fermières-fleuristes du Québec pour favoriser l’entraide et l’épanouissement des fermes florales dans la province. Lorsque le groupe a vu le jour, on comptait une dizaine de membres; aujourd’hui, on en compte près de 275. On la contacte souvent pour avoir quelques conseils. L’entraide et l’échange de conseils sont au rendez-vous. Comme des collectionneurs de cartes de hockey, des rencontres pour échanger des bulbes sont également populaires.

© Annie Martel

Par une journée intense de pluie, dirais-je quasi diluvienne, j’ai eu le bonheur d’aller planter quelques bulbes de narcisses avec Valérie Goulet, dont l’entreprise est située à Saint-Marc-sur-Richelieu.

Plantation de bulbes. © Annie Martel

Je dois avouer que j’ai eu un coup de cœur pour cette femme.

Un mariage fleuri signé Picaflore.  © Picaflore.

La petite histoire de Valérie Goulet

Depuis toujours, Valérie rêvait de travailler dans le domaine du jardinage, d’avoir sa propre entreprise, de travailler dehors ou dans la nature. Elle avait beaucoup exploré l’idée de posséder une ferme maraîchère, mais après avoir fait une étude de marché pour vérifier la viabilité d’un tel projet dans son secteur, elle a finalement pris la décision de ne pas aller de l’avant. Au dire de Valérie, autant surprenant que cela puisse être, ça joue fort du coude dans ce domaine. Petite fille d’un grand -père agri­ culteur, elle avoue que son intérêt pour la nature, les fleurs ou encore les arbres ne lui est pas totalement attribuable, ce désir était bien ancré en elle depuis son tout jeune âge. L’émission Découverte l’a beaucoup influ­ encée. Très tôt, le sujet des changements­ climatiques l’a interpellée, et ce bien avant que le sujet soit tendance. Son but a toujours été de faire sa part pour aider l’écologie, la biodiversité afin de léguer une image positive de son passage sur Terre.

Celui qui a inspiré le nom de l’endroit. © Picaflore.

Il y a quelques années, Valérie a eu la chance d’assister au mariage d’une de ses amies en Australie. Avant de se rendre là-bas, celle-ci lui avait dit que pour son mariage, elle avait opté pour encourager une ferme florale du coin. Valérie avait excessivement hâte de se rendre là- bas pour rencontrer la femme derrière cette entreprise f lorale. Le jour du mariage, lorsqu’elle l’a vue arriver sur place avec son camion rempli de chaudières, bondées de magnifiques fleurs fraîchement coupées, en plus de fleurs qu’elle n’avait jamais vues, elle a eu le déclic, elle venait de trouver sa nouvelle vocation dans la vie!

Arrangements décoratifs hivernaux.  © Picaflore.

Les fermes florales, une histoire de femmes!

Selon Valérie, il n’y a pas 42 raisons qui expliquent pourquoi ce sont principalement des femmes qui exploitent ce type d’entreprise. C’est une excellente opportunité pour concilier le travail et la famille. Toujours selon elle, les hommes prennent souvent de plus gros moyens pour arriver à leur fin. Ils ont accès à de gros tracteurs, de la grosse machinerie, ils ont hérité de la ferme familiale, rien de cela n’est scientifique comme réponse, mais c’est l’explication la plus plausible selon elle.

Choux décoratifs. © Picaflore.

Pour sa part, elle était vraiment décidée à atteindre son but et de posséder sa propre entreprise du genre. Elle ne s’en cache pas, cela ne prend pas de gros moyens pour se lancer dans ce type d’entreprise, il faut juste être très déterminé et ne pas avoir peur de mettre beaucoup d’huile de coude. Il faut parfois travailler dans les pires conditions météorologiques, il ne faut pas avoir peur de la pluie ou des grosses chaleurs. Parfois, il faut se lever à l’aurore pour couper les fleurs ou encore se dépêcher le soir pour couvrir quelques rangs. Les canicules des deux dernières années ont eu un impact sur le travail de Valérie. Il fallait absolument cueillir les fleurs avant qu’il fasse trop chaud. Cueillir des fleurs en période de canicule fait faner les fleurs fraîchement coupées. Donc, si celles- ci perdent de leur vivacité et de leur tonus, elles ne peuvent pas être vendues. Une fois cueillies, les fleurs doivent rapidement être mises au frais.

Au Québec, la plupart des fermes florales cultivent les narcisses, les tournesols, les pivoines, les anémones ou encore les renoncules; les faire pousser représente un défi en soi. La saison débute avec l’apparition des tulipes. Valérie peut en couper des milliers en début de saison. À l’instar des tulipes, certaines fleurs cultivées ici sont capricieuses; c’est réellement un art de les faire pousser, surtout lorsqu’on passe de la canicule en pleine journée à des températures de 10 degrés la nuit. Des fermes florales investissent dans des tunnels ou encore des serres froides afin de donner une meilleure chance à leurs bulbes de croître efficacement.

© Picaflore.

La clientèle

Les clients qui requièrent les services de Valérie sont de futurs mariés, des particuliers ou encore des clients de passage dans les marchés fermiers. Dans les marchés publics, la clientèle ne se construit pas en un jour, il faut travailler fort pour la fidéliser. Chaque petit geste compte. Si le marché est vivant, c’est un peu plus facile; par contre, si le marché est en dormance, il faut redoubler d’efforts pour y attirer les gens. Par chance, depuis quelques années elle compte sur une quarantaine de clients fidèles qui profitent de ces services chaque semaine pour égayer leur maison ou encore leur entreprise. Sous forme d’abonnement, les gens peuvent donc recevoir de belles fleurs fraîchement coupées et produites ici localement. Sa clientèle est majoritairement féminine. Les hommes ne magasinent pas les fleurs de la même façon que les femmes. Ils veulent de gros bouquets, ils sont suspicieux envers les fleurs d’ici, ils sont habitués aux roses rouges, ils sont finalement plus classiques dans leur choix de fleurs.

Fleurs locales ou fleurs importées?

Valérie se considère pour sa part comme une fermière fleuriste. Fermière parce qu’elle cultive elle-même les fleurs et fleuriste parce qu’elle fait des arrangements floraux. Pour bien des femmes dans ce domaine, nos fleuristes québécois auraient tout intérêt à davantage faire de la place aux productrices des fleurs d’ici. Bien que les fleuristes de son secteur lui fassent confiance, il y a encore du chemin à faire. La plupart des fleurs que l’on retrouve chez notre fleuriste du coin ou dans les magasins de grande surface proviennent de l’Équateur, de la Hollande (qui détient un monopole) ou encore de l’Afrique. Cela augmente l’empreinte écologique, des populations sont complètement déracinées de leur milieu de vie, car de grosses entreprises prennent possession de petits villages en bordure de plan d’eau afin d’y implanter leurs grosses serres. Les poissons dans les cours d’eau meurent à cause des déversements d’eau usée et du rejet de pesticides. Pour Valérie, les fleurs importées ne font pas assez l’objet de discussion. Ce n’est pas une industrie propre, beaucoup de produits toxiques sont utilisés, sans oublier l’exploitation humaine qui se cache souvent derrière cette industrie. Qui aurait cru qu’un si beau bouquet aux odeurs divines pourrait mettre en péril la vie et le développement de certaines populations.

© Picaflore.

Le deux tiers des fleurs vendues au Québec proviennent de l’extérieur. Il faut faire très attention avec l’achat de fleurs importées. Derrière votre beau bouquet, il y a assurément des femmes et de jeunes enfants qui ont travaillé dans des conditions peu recommandées pour un minime salaire. Par exemple, au Kenya où sont produites la majorité des roses du monde, le salaire médian pour une personne travaillant dans l’industrie florale est l’équivalent de 83 $ par mois, alors que le minimum requis pour satisfaire les besoins de base est d’environ 155 $. Après avoir pris connaissance des faits, il y a matière à se questionner sur nos habitudes d’achat. Nous devrions davantage nous questionner avant d’acheter certains produits, fleurs y compris. Il existe de nombreuses manières de fleurir notre vie de façon locale et responsable. Pour les futurs mariés, cette journée sera certainement le moment de votre vie où vous investirez le plus d’argent dans les fleurs. Alors pourquoi ne pas profiter de cette occasion pour faire un choix significatif et responsable.

Un autre point à ne pas négliger, encourager les fleuristes locaux plutôt que les importateurs étrangers permet entre autres de réduire de beaucoup les émissions de CO2 résultant du transport. Si tout un chacun fait un petit geste en demandant davantage des fleurs d’ici à nos fleuristes, peut-être qu’ensemble nous aurons un réel impact positif sur notre planète.

Les pratiques agricoles écoresponsables sans pesticides ni engrais chimiques ont un apport positif sur notre vie, mais cela peut impacter durement une saison pour les producteurs qui ont fait ce choix. Les insectes, tels que les scarabées japonais, les chenilles de la pyrite du chou ou les perce-oreilles, peuvent détruire une production complète de fleurs, ce qui a un gros impact sur les revenus des femmes fermières. Ainsi, pour protéger ces dahlias, Valérie met sur chacun des boutons de fleur un petit sac d’organza pour éviter que les insectes non désirés viennent les manger. Afin de pallier l’utilisation de pesticide, elle utilise du purin ou du savon noir. Un bon truc pour contrer les pertes est de diversifier les sortes de fleurs. Il y a des insectes qui font la fine bouche sur certaines pousses ou fleurs.

Le mouvement Slow Flower

Il y a déjà quelques années, l’auteure américaine et spécialiste en aménagement extérieur Debra Prinzing fondait le site slowflowers.com. Elle a également écrit le livre « The 50 mile bouquet » qui se veut un ouvrage pour conscientiser les gens sur le monde des fleurs et sur l’impact des fleurs cultivées localement versus des fleurs en provenance d’ailleurs.

Le slow flower s’inspire du mouvement slow food paru il y a quelques années. Cette philosophie encourage les producteurs locaux, la culture responsable et l’achat local. Une réaction à l’industrie polluante de la fleur importée. Le Slow Flowers Movement est une réponse à la déconnexion entre les humains et les fleurs à l’ère moderne. Slow Flowers relie les consommateurs à la source de leurs fleurs, mettant un visage humain au producteur de fleurs et au designer floral derrière chaque bouquet ou pièce maîtresse. La fleur oubliée, sauvage, saisonnière devient reine, les bouquets désordonnés sont du plus grand raffinement. Le mouvement a été popularisé en majeure partie par Instagram.

Les fleurs comestibles québécoises sont-elles populaires dans nos restos?

Pour certains producteurs de fleurs, cela peut être intéressant, mais pour Valérie, le travail n’en valait pas la chandelle. Chaque fleur, chaque tige doit être méticuleusement regardée à la loupe avant d’être envoyée. Un travail de moine, stressant, qui prend beaucoup de temps, et qui ne rapporte pas assez. C’est également pour cette raison que de plus en plus, les restaurateurs plantent eux- mêmes leurs propres variétés de fleurs pour embellir leurs plats et ajouter un effet WOW à leur création.

L’univers des fleurs cultivées localement est impressionnant; mettre un bulbe en terre est bien plus qu’un simple geste, c’est une action concrète pour notre avenir. En achetant un bouquet de fleurs d’ici, on aide une petite famille, un voisin, une amie à payer son épicerie ou à envoyer son enfant dans de bonnes écoles. Les fleurs sont l’un des plus prodigieux chefs-d’œuvre de la nature, alors soutenons notre culture locale. Encourageons les semeurs de joie et n’ayons pas peur de fleurir notre vie avec nos joyaux québécois. La prochaine fois que vous offrirez des fleurs à quelqu’un, pensez-y!

Sources :

https://picaflore.com/

https://www.originefleurs.ca/

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1802847/fermes-florales-quebec-femmes-entreprises-fleuristes-consommation-locale

https://uplus.upa.qc.ca/formation/hygiene-salubrite-alimentaire-gestionnaire-3-2-2-2/

https://plus.lapresse.ca/screens/7e63836d-e4f7-43e5-a6f7-d0a2592efec5__7C__~eg4eddDZ-BJ.html

https://dujardindansmavie.com/conseils-idees/connaitre-sa-zone-de-rusticite-cest-si-facile/

https://www.debraprinzing.com/books/the-50-mile-bouquet/ https://slowflowers.com/

*Cet article a été publié dans le Vol. 11 No. 1 du magazine numérique Vivre à la campagne. Cliquez ici pour vous abonner!

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