Lyne Bellemare a publié son premier livre, Terre Promise — L’art de produire ses propres semences. Elle est la fondatrice de Terre Promise, conférencière et a été coordonnatrice du volet francophone des Semences du patrimoine Canada durant 10 ans.
Passionnée de permaculture et de maraîchage écologique, elle s’intéresse à la conservation des semences de variétés anciennes, patrimoniales et rares.
Vous souhaitez vous rapprocher de l’autosuffisance alimentaire? Vous y trouverez des techniques pour prélever et conserver vos propres semences pour le potager, de l’extraction des graines à l’art de la pollinisation manuelle, en passant par l’entreposage et la conservation des semences artisanales. Une quarantaine de fiches techniques ont été créées; celles-ci sont agrémentées de tableaux et d’informations pour tout savoir sur la variété choisie, soit sur son origine, sa description, sa maturité, sa récolte, son séchage, son nettoyage et son entreposage, sans oublier le truc de la semencière. Celui-ci inclut également les histoires du pois Saint-Hubert, de la sarriette Ancienne d’Acadie, des tomates Petit moineau et Mémé de Beauce ainsi qu’un aide-mémoire des variétés, un calendrier des récoltes et un glossaire pour vous familiariser avec le vocabulaire horticole. Le tout est complété par les magnifiques illustrations botaniques de l’artiste Laucolo, engagée dans la souveraineté alimentaire. La préface de l’ouvrage est signée par l’horticultrice Mélanie Grégoire. Comme elle le mentionne si bien : « Les informations contenues dans cet ouvrage sont précieuses. À ce jour, peu de livres offraient une connaissance aussi technique et terrain de la culture des semences. »
75 % des variétés de plantes qui servaient à notre alimentation ont disparu au cours du dernier siècle. Il est donc le temps de refaire de la récolte des semences une priorité afin d’assurer sa survie alimentaire et de résister contre l’industrie qui cultive souvent des variétés bien adaptées au transport, mais moins goûteuse.
« Comme la plupart de nos variétés ancestrales ont disparu au fil du temps, j’ai compris qu’il était important de faire en sorte de les partager afin d’éviter qu’elles ne sombrent dans l’oubli. J’ai aussi réalisé que cultiver des variétés ancestrales permettait de développer des variétés plus résistantes aux aléas climatiques et aux maladies. De plus, des variétés plus adaptées demandent moins d’arrosage et moins d’intrants chimiques comme les engrais de synthèse et de pesticides. » — Lyne Bellemare
Entrevue avec Lyne Bellemare
VALC : Auriez-vous des conseils à donner aux jardiniers débutants qui souhaitent commencer à récolter leurs propres semences?
LB : 1. Observer. L’observation du cycle de reproduction, du moment où la graine pousse sur la plante, du moment où elle est mature et où elle tombe naturellement… chaque variété possède ses propres caractéristiques et une observation terrain est essentielle afin de bien réussir.
- La conservation de ses propres semences n’est pas une activité dispendieuse et ne requiert presque pas de matériel. De simples tamis, un ventilateur, des gants et des taies d’oreiller ou des sacs en papier sont les outils principaux pour la récolte de semences. Un endroit sec pour les faire sécher aussi.
- Ne pas tenter l’expérience avec des variétés difficiles qui se croisent et peuvent donner un résultat décevant, comme les courges ou les melons.
VALC : Parmi les espèces présentées dans les fiches du livre, quelles sont les semences les plus faciles à récolter au jardin?
LB : 1. Les variétés les plus faciles sont les laitues, les haricots et les tomates. Ces végétaux ne demandent pas de très grandes distances d’isolement afin de ne pas se croiser. De plus, elles sont faciles d’extraction.
- Les semences les plus faciles à extraire sont celles des laitues (on les bat dans une taie d’oreiller, puis on les tamise simplement ou on les souffle pour enlever les cosses et autres déchets organiques) et celles des haricots (très ludiques pour les jeunes et les moins jeunes; on les laisse pousser et sécher tout l’été sur le plant en buvant un mojito et à l’automne, on les piétine lorsqu’ils sont bien secs sur un drap étendu par terre. Toute la famille peut s’y mettre – à l’extraction, pas au mojito!). Les tomates sont un peu plus complexes car elles sont dites humides; il faut enlever les graines et les faire fermenter. C’est une étape qui en rebute certains, mais quand on maîtrise la technique, c’est très simple et facile.
Quelles sont les plus difficiles?
LB : 1. Courges, melons et concombres, parce qu’au cours de la pollinisation, c’est-à-dire tout au long de l’été et de la floraison des fruits, les insectes butinent et échangent le pollen d’une variété à l’autre, et donc nos courges peuvent se mélanger avec d’autres courges ou nos melons avec d’autres melons d’une variété différente. La prochaine génération ne sera donc pas pareille, et on sera déçu… Si on se lance là-dedans, on devra cultiver une seule variété chaque année…
- Certaines fleurs, par exemple l’échinacée, ont des semences bien cachées dans une cosse piquante. Les enlever n’est pas de tout repos. Même avec des gants, ça pique. On doit faire preuve d’ingéniosité et les frotter entre deux morceaux de caoutchouc, ou les écraser avec de bons vieux souliers. Cela n’abîmera pas les semences.
Certaines fleurs que l’on retrouve au jardin, comme la bourrache, font des semences qui… tombent immédiatement, aussitôt quelles sont prêtes! Difficile dans ce cas de trouver le bon moment de les récolter. Il faut observer et y aller avant une forte pluie ou des vents violents.
Personnellement, je trouve que les gourganes sont très difficiles : les faire pousser, ça va. Les extraire, ça va. Les faire sécher, ça va. Mais les cueillir AVANT que les tamias rayés ne les mangent, ça on n’y arrive jamais.
VALC : Vous écrivez dans votre livre : « Certaines semences sortent difficilement de leur dormance et demandent des méthodes plus spectaculaires : certaines doivent geler, transiter dans le système digestif d’un animal, succomber à la putréfaction du sol ou même être exposées au feu! » Bien que celles-ci soient rares, auriez-vous quelques exemples?
LB : Plusieurs végétaux poussant sous nos latitudes nordiques ont besoin de vivre l’hiver pour germer l’année suivante. La plupart des plantes sauvages québécoises ne germent pas sans cela. L’asclépiade, par exemple, germera beaucoup mieux si elle fait un petit tour au frigo. Les semences à cosse plus dure, comme le chou maritime ou la roquette turque, devront putréfier avant de germer, ce qui abîmera leur cosse et donc leur permettra de pousser. Plus loin du potager, on connaît bien les conifères qui ont besoin d’avoir un petit coup de feu pour que leurs semences germent!
Qu’est-ce que Terre Promise?
Il s’agit d’une entreprise semencière artisanale locale, existant depuis 2014, qui produit des semences écologiques de variétés potagères rares ou en voie d’extinction. En visitant le https://terrepromise.ca/, vous pouvez découvrir sa boutique en ligne ainsi que vous inscrire à des conférences. Les semences disponibles sont à pollinisation libre, cela signifie que vous pourrez les récolter pour les semer l’année suivante.
VALC : Quelles sont les variétés québécoises qui ne se trouvent pas ailleurs?
LB : Nous avons le maïs Canadien Blanc, la tomate Frontenac, la tomate Minuit à Montréal, le haricot grimpant violet Jean-Léo Collard, la laitue Grosse Dodue, la tomate cerise Mon Plaisir entre autres choses. Et une trentaine de variétés qui ne sont vendues que par un ou deux autres semenciers, ce qui met en péril la préservation de ces précieux légumes.
VALC : Quelles sont les plus vendues?
LB : Laitue Grosse Blonde Paresseuse, non ce n’est pas nous qui l’avons nommée. Elle est délicieuse, et le nom doit faire rigoler les jardiniers… c’est toujours bon un peu de rigolade au jardin.
Les tomates sont les numéros un au Québec pour la vente. Avant on voulait des tomates rondes et régulières, mais il y a de plus en plus d’engouement pour les tomates côtelées, inégales et plus… ancestrales, qui goûtent vraiment la tomate de nos grand-mères. Mémé de Beauce et Savignac ont la cote présentement.
Certaines curiosités, comme le cucamelon ou l’oignon vivace (catawissa ou cébette), vivent aussi leur moment de gloire.
VALC : Quelles sont les variétés qui mériteraient d’être davantage connues?
LB : Le chervis est un légume tellement délicieux, vivace et facile de culture. Je comprends qu’il soit négligé par son aspect un peu rebutant, mais il en vaut vraiment la peine!
La courge Canada Croockneck est l’ancêtre des Butternut. Elle gagnerait à être connue car elle est non seulement délicieuse, mais elle est aussi résistante au nouvel insecte que l’on trouve au jardin depuis 2019 au Québec, le perceur de la courge.
VALC : Quelles variétés potagères disparues aimeriez-vous revoir au potager (même si cela n’est pas possible)? Et pourquoi?
LB : Comme plus de 75 % des variétés ont disparu depuis un siècle, le choix est grand… Nos ancêtres faisaient pousser des tonnes de pois, et plusieurs variétés québécoises étaient typiques du terroir. Elles n’existent plus. Même pas dans les banques de gènes. Si on veut créer d’autres variétés résistantes aux aléas d’aujourd’hui, on ne peut plus « fouiller » dans ce patrimoine génétique disparu. La sécurité alimentaire est donc diminuée. Le lin textile aussi, les variétés québécoises avec lesquelles nos ancêtres s’habillaient, littéralement, ont disparu puisque la durée de vie des semences n’est que de deux ans. Ces variétés ne reviendront jamais. Leur génétique est disparue.
Et par curiosité, j’aimerais bien retrouver des maïs à farine québécois afin de goûter à ce que mangeaient nos arrière-grands-parents. Il n’en reste que quelques-uns, dont le maïs Canadien Blanc, mais chaque maïs a un goût différent!
Actualité
Le projet Semence Terre promise verra le jour afin d’accroître la production de semences de qualité et écologiques aux Serres St-Élie grâce à une association entre Mélanie Grégoire et Lyne Bellemare. Un total de trois acres pourra être cultivé à Sherbrooke et à Montréal, soit plus de 300 plantes potagères, fines herbes et fleurs.
Source : Serres St-Élie et Semence Terre promise : s’unir pour mieux partager une passion commune!
Bon à savoir
Comment obtenir des semences?
- Visitez des entreprises semencières locales.
- Effectuez des échanges de semences avec vos amis jardiniers.
- Visitez la Fête des semences près de chez vous. Celles-ci ont habituellement lieu de janvier à mars.
- Faites partie de l’initiative citoyenne de boîte de semences voyageuses. Plusieurs groupes Facebook existent, dont Groupe Seedbox du Québec.
Comment éviter d’obtenir des courges difformes?
Si vous conservez vos graines de courges et que vous en cultivez plusieurs de la même espèce, celles-ci pourraient se mélanger entre elles et donner des courges différentes l’année suivante. Pourquoi? Parce que les pollinisateurs auront visité des fleurs femelles et mâles de plusieurs plants. Si vous cultivez des courges Canada Crookneck (moshata) et des zucchinis Cocozelle (pepo), elles ne pourront pas se mélanger puisqu’elles ne sont pas de la même espèce. Par contre, si vous cultivez une Courage Trimable et une courge Turban Turc, comme elles sont de l’espèce Cucurbita maxima, celles-ci pourraient se croiser.
Source : Série « Mais comment diable? »
Une réserve mondiale!
Dans l’archipel de Svalbard en Arctique se trouve la Réserve mondiale de semences. Celle-ci sert à sauvegarder des doubles des variétés de chaque pays dépositaire, dont ceux de la Banque de gènes du Canada, s’il survenait un désastre, une crise ou une guerre qui aurait un impact négatif sur l’agriculture.
Connaissez-vous l’Académie potagère?
Vous avez envie d’apprendre davantage au sujet du jardinage écologique? L’Académie potagère offre diverses formations dont La micro-agriculture familiale, Serres et structures potagères, Produire ses propres fines herbes, Les pleurotes au potager et Cultiver le gingembre frais. Des mini-cours gratuits sont aussi parfois offerts.
Les formateurs de l’Académie, Dany Bouchard, Cinthia Duchesne et Vincent Marcoux, cumulent plus d’une vingtaine années d’expérience en jardinage et en maraîchage biologique sur petite surface.
Vous pouvez d’ailleurs voir Dany dans les quatre saisons de l’émission C’est plus qu’un jardin diffusée sur Unis TV.
Informations : www.academiepotagere.com
Par Joani Hotte-Jean
*Cet article a été publié dans le Vol. 12 No. 2 de Vivre à la campagne.
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