Vivre à la campagne

Sur la route des maisons ancestrales

Par Annie Martel

Qui n’a pas déjà rêvé d’être un petit oiseau et de s’immiscer à l’intérieur de vieilles maisons? Comme disait mon grand-père : « Faire un tour de machine, pour aller fouiner, c’est bien plaisant. » Que l’on soit à pied, en auto, en moto ou encore à vélo, nous avons tous déjà passé divers commentaires sur les maisons et les aménagements paysagers des autres. Sachez qu’au Québec il existe maintenant des circuits touristiques destinés à 100 % à la visite de certaines maisons ancestrales et à la mise en valeur de l’architecture régionale. Plongez avec moi dans l’aventure de cette nouvelle offre touristique et explorons ensemble l’histoire avec un grand H des maisons ancestrales.

Ancestrale Ledoux-Bernard © Tourisme Vallé du Richelieu

Qu’est-ce qu’une maison ou un lieu ancestral?

Selon la croyance populaire, un bâtiment entre dans la catégorie « ancestral » lorsqu’il atteint 100 ans d’âge. Détrompez-vous, ce n’est pas tout à fait le cas. Un bâtiment d’intérêt patrimonial ayant plus de 50 ans d’âge peut représenter une valeur historique par son architecture et son ancienneté; sa date de construction est généralement antérieure à 1950. Exceptionnellement, des édifices, dont la date de construction est postérieure à 1950, peuvent aussi être considérés comme d’intérêt patrimonial en raison de la représentativité du type auquel ils appartiennent ou du procédé de construction dont ils sont issus.

Il existe aussi deux types d’endroits patrimoniaux. Vous entendrez parfois parler d’immeuble patrimonial. Ce bâtiment représente un intérêt pour sa valeur archéologique, architecturale, artistique, emblématique, ethnologique, historique, paysagère, scientifique ou technologique. Ce peut-être notamment un bâtiment, une structure, un vestige ou un terrain. On retrouve également le « site patrimonial » : un lieu, un ensemble d’immeubles ou, dans le cas d’un site patrimonial faisant l’objet d’une déclaration par le gouvernement en vertu de l’article 58, un territoire qui présente un intérêt pour sa valeur archéologique, architecturale, artistique, emblématique, ethnologique, historique, identitaire, paysagère, scientifique, urbanistique ou technologique.

La beauté est dans notre nature © Tourisme Lac-Brome

Un site patrimonial doit être désigné dans le plan d’urbanisme comme une zone à protéger. Le conseil municipal d’une municipalité peut imposer des conditions relatives à la conservation des valeurs patrimoniales d’un bien patrimonial, telles que les boiseries, la galerie, le contour des fenêtres, la couleur ou encore la texture du revêtement. Dans les faits, en plus de la réglementation habituelle de la municipalité qui continuera de s’appliquer pour ces immeubles et ces sites patrimoniaux, le conseil municipal pourra ajouter des conditions qui auront pour objectif d’aider à la conservation de l’immeuble ou du site en question. Même si l’endroit est votre maison privée, si celle-ci est déclarée « patrimoine », vous devrez vous soumettre à des règles encore plus strictes en matière de rénovations qu’une maison dite normale.

Sauvons nos maisons ancestrales © KE Journal de Chambly

S’inspirer du passé pour construire l’avenir

Entretenir de façon adéquate tout en respectant l’histoire de la maison ancestrale demande évidemment d’effectuer un suivi régulier, mais aussi de faire appel à des spécialistes et à des professionnels au savoir-faire rare, parfois unique. Malheureusement, bon nombre de maisons anciennes ont connu un triste sort dans les dernières années. Ne se lance pas qui veut dans ce type de projets, il faut être passionné et déterminé pour parvenir à ces fins.

Pour Luc Noppen, historien de l’architecture et professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, avant de penser à démolir un bâtiment, il faudrait penser à le recycler, car le recyclage n’est pas seulement pour le carton et les cannettes, il existe aussi pour les bâtiments. Parfois cette solution est moins onéreuse que de jeter par terre une construction existante. On estime le nombre de bâtiments détruits dans la province à 4 000 par année.

Dans son livre Accusé de non-assistance à patrimoine en danger, l’ancien ingénieur Yves Lacourcière estime que depuis 1970, au moins 33 % du bâti traditionnel qui témoigne de notre histoire architecturale a été détruit. Cet essai polémique lance l’ultime alarme concernant la menace de notre ADN culturel : après la langue, c’est au tour de nos patrimoines du bâti. Pour parcourir beaucoup de routes chaque année, je ne compte plus le nombre de fois où j’ai vu une belle vieille maison au cachet historique abandonnée et en décrépitude. C’est dommage de constater cela.

© Tourisme Brome-Missisquoi

Au Québec, des entreprises se spé­cialisent dans la rénovation de mai­ sons ancestrales. C’est d’ailleurs le cas pour la compagnie Ancestra qui a pignon sur rue à Sherbrooke. Leur devise est simple : préserver le patrimoine bâti et revitaliser les quartiers historiques! Ce qui est le plus important lorsqu’on veut restaurer ou rénover une maison ancestrale, c’est de bien faire ses recherches avant de se lancer dans ce type de projet.

Circuit Knowlton © Tourisme Lac-Brome

Souvenez-vous de vos cours d’his­toire au secondaire, l’architecture et l’histoire sont étroitement liées. Du moins, l’architecture aide souvent à nous situer dans le temps. Celle des maisons dans les Cantons-de-l’Est imite surtout des styles qui s’étaient développés aux États-Unis et en Grande-Bretagne. C’est donc une architecture particulièrement anglaise. Dans cette région du Québec,  l’architecture  a  évolué à travers de nombreux styles qui se succèdent ou se chevauchent, cependant on ne retrouve que peu d’exemples d’un style pur.

Basilique Cathédrale Saint-Michel © Destination Sherbrooke

Les styles les plus retrouvés dans la région de l’Estrie sont : le néo-classicisme, le néogrec, la tradition géorgienne, le néogothique, le néo-italien, le Second Empire et le néo-Queen-Anne.

Le bois est sans conteste le matériau le plus utilisé dans l’architecture du Vieux-Sherbrooke.

Auberge Sutton Brouërie © Créateurs de Saveurs

La pierre, généralement du granit de Stanstead ou de Scotstown (MRC du Granit), a été particulièrement réservée aux édifices religieux, administratifs et commerciaux. Une note de prestige est donc liée à ce matériau plus rare à Sherbrooke.

Rénovation de maisons © Maison traditionnelle des Patriotes

Quatre questions se posent avant de vous lancer dans la folle aventure de restaurer une maison ancestrale. Premièrement, êtes-vous libre de tout changer? Deuxièmement, doit- on rénover ou remplacer? Troisièmement, comment harmoniser l’ancien et le nouveau? Quatrièmement, quels avantages puis- je en tirer? On parle ici d’avantage tel que le changement des fenêtres qui peut nous faire épargner des coûts reliés au chauffage. Sachez qu’un projet de la sorte peut être admissible à une aide financière. Il est également important de savoir que si vous vous lancez dans l’achat et la restauration d’une maison ancestrale, il vous en coûtera plus cher d’assurance, car ce type de bâtiment est plus à risque (feu, dégât d’eau, etc). Donc votre portefeuille est également plus à risque.

Sophie Daoust, une ancienne collègue à moi, s’est lancée il y a plus de 10 ans dans la restauration d’une maison ancestrale. Chaque jour de congé, chaque soirée, elle et son conjoint les ont passés à mettre la main à la pâte pour redonner le cachet d’antan à leur vaste demeure située en Montérégie. Un projet de longue haleine et très coûteux. Même si la plupart des travaux ont été effectués par eux, un projet du genre comporte de nombreuses surprises qui peuvent vous ruiner. Heureusement pour eux, ce ne fut pas leur cas, mais Sophie a entendu bon nombre d’histoires abondant en ce sens. Parfois, ils pouvaient passer des semaines à chercher une poignée de porte afin de respecter l’influence de l’époque et ainsi avoir une maison cohérente avec son histoire. Pour Sophie, restaurer une demeure ancestrale est une vocation. Après avoir bûché et finalement obtenu le résultat escompté, ils ont finalement mis la maison en vente et se sont lancés dans un nouveau défi du genre. Elle conseille à quiconque de bien évaluer l’ampleur des travaux avant de se lancer dans cette aventure et de ne pas hésiter à aller chercher des conseils auprès d’experts en la matière.

Le tourisme patrimonial de plus en plus populaire

Envie de faire un retour aux sources, le chemin des Cantons est une excellente option. Les maisons an­cestrales­ sont les preuves tangibles de notre passé. Ce circuit touristique met en valeur le patrimoine bâti et naturel des Cantons-de-l’Est. Le parcours­ s’étend sur 430 kilomètres et traverse 31 municipalités, dont 27 étapes officielles et 8 étapes à proximité.

Chemin des Cantons © Tourisme Cantons-de-l’Est

Vous pouvez dorénavant faire le Chemin des cantons avec un audioguide disponible sur Internet. Diverses personnalités québécoises prêtent leur voix afin de vous faire découvrir leur petit coin de pays. Roulez au son des voix mélodieuses de Marcel Leboeuf, Jim Corcoran, Micheline Lanctôt, Clémence DesRochers, Pierre Poirier et Richard Séguin. Histoires et paysages bucoliques, que pourriez-vous demander de plus! Le Chemin des Cantons offre quatre routes thématiques : la Route des thés, la Route d’automne, la Route des belles demeures d’époque et la Route des Ponts couverts et granges rondes. La Route des belles demeures vous fera voir des manoirs, des hôtels particuliers, des maisons victoriennes, des demeures ancestrales et d’autres belles résidences d’époque, des lieux construits entre 1850 et 1920.

Il existe également dans les Cantons-de-l’Est le circuit du Patrimoine. Ce circuit vous promet des découvertes d’architecture de maisons et de splendides paysages. Plongez dans l’histoire en explorant Saint-Armand, Pigeon Hill, Bedford et le hameau de Mystic. C’est à cet endroit que vous aurez la chance de voir la grange polygonale Walbridge, la plus ancienne au Québec. Ce circuit d’environ 42 kilomètres se parcourt merveilleusement bien en vélo.

La route des belles demeures © Chemin des Cantons

En 2010, la ville de Magog a même créé une brochure regroupant 16 bâtiments construits sur la rue Principale de 1821 à 1925, afin de mettre en lumière leur patrimoine bâti. La brochure distribuée attire l’attention sur des détails architecturaux ou des composantes de ces édifices, qui ont été retenus en raison de la diversité architecturale qu’ils présentent, tout en constituant de précieux témoins de l’histoire magogoise. Depuis ce jour, d’autres municipalités de l’Estrie ont fait de même afin de mettre en valeur leur bâti ancestral.

Route des belles demeures d’époque © Chemin des Cantons

La charte des paysages estriens

En 2001, un organisme à but non lucratif voit le jour : Paysages estriens. Ce regroupement est composé de personnes ayant à cœur la protection des paysages. Il souscrit à l’importance de préserver la richesse du patrimoine paysager estrien en tant qu’outil de développement économique, culturel et touristique. Son équipe expérimentée réunit des professionnels des domaines de l’architecture de paysage et de l’aménagement. C’est en 2015 que Paysages estriens, en collaboration avec la Conférence régionale des élus de l’Estrie et Tourisme Cantons-de-l’Est, dévoile la Charte des paysages estriens. La deuxième charte du genre au Québec, la première étant celle des Laurentides. La Charte des paysages estriens repose sur un ensemble de valeurs, de principes et d’engagements que partageront élus, municipalités, ministères, entreprises privées, organismes et citoyens dont les actions ont un impact sur le paysage.

Pour les gens signataires de cette charte, il est possible de concilier le développement économique avec la protection des paysages tout en assurant la cohérence des interventions. Comme mentionné plutôt, ce document n’est pas une loi ou une législation, il en est la responsabilité des élus municipaux d’adopter une réglementation en matière de paysages. À ce jour, les municipalités suivantes ont adhéré à la charte : Ayer’s Cliff, Canton de Hatley, Saint-Camille, Sainte-Catherine-de-Hatley, Sherbrooke, Stratford et Stukely-Sud. J’ai été surprise de lire dans cette charte l’article 9, qui affirme que le ciel étoilé est reconnu comme un bien et un patrimoine scientifique, environnemental et paysager; il doit à ce titre être protégé de la pollution lumineuse.

En terminant, rappelez-vous toujours que notre patrimoine est un trésor donné par ceux qui nous ont précédés, il faut en prendre soin et l’honorer du mieux que l’on peut. Nos bâtiments anciens offrent un regard actuel sur un passé toujours présent. Chaque citoyen a la responsabilité de contribuer à léguer des paysages de qualité aux générations suivantes de sa communauté. Les circuits touristiques qui exhibent les maisons de nos ancêtres ne font pas du voyeurisme, mais rendent plutôt hommage à nos bâtisseurs, nos ancêtres et à ceux qui se sont donné comme mandat d’embellir notre fleuron québécois.

Maison du centenaire © Patrimoine-culturel du gouvernement du Québec

Un regroupement pour les amis et propriétaires de maisons anciennes

Fondé en 1980 par Thérèse Romer et Carole Sylvestre, l’APMAQ (Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec) est un organisme à but non lucratif voué à l’éducation, la diffusion, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine résidentiel québécois et de son environnement. Il contribue ainsi comme bien d’autres organismes à la culture, à l’économie et à l’identité de la société. L’organisme épaule et guide les gens désirant conserver ou préserver leurs maisons anciennes. L’APMAQ collige diverses informations sur les assurances, les styles architecturaux, ou encore organise diverses activités favorisant l’échange sur les enjeux des maisons ancestrales au Québec. Selon votre région, il pourra également vous fournir un nombre précieux de contacts qui se spécialisent dans la restauration de vieilles maisons. Que vous soyez à la recherche d’un spécialiste de fenêtres à battants ou encore de portes cochères, l’APMAQ a un pro à vous suggérer.

Sources : 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_lieux_patrimoniaux_de_l%27Estrie

http://patrimoine.espaceweb.usherbrooke.ca/fr/index.php

https://www.chemindescantons.qc.ca/fr/routes/route-belles-demeures-epoque.php

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/551713/il-faut-soutenir-les-proprietaires-de-maisons-anciennes

https://www.mamh.gouv.qc.ca/amenagement-du-territoire/guide-la-prise-de-decision-en-urbanisme/reglementation/citation-dun-bien-patrimonial/

https://www.chemindescantons.qc.ca/fr/documentation/audios.php

https://www.cantonsdelest.com/velo/circuit/5/le-circuit-du-patrimoine

https://paysagesestriens.org/mission-et-historique-de-lorganisme

https://www.leslibraires.ca/livres/accuse-de-non-assistance-a-patrimoine-yves-lacourciere-9782981740007.html

https://www.maisons-anciennes.qc.ca/info-patrimoine/bibliotheque?id=23

https://patrimoinesherbrooke.ca/

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