Vivre à la campagne

L’autonomie alimentaire au Québec – Portrait actuel et pistes de solutions

© La Récolte de la Rouge

Par Hugo Bourdelais

Au printemps 2020, plusieurs pépiniéristes du Québec et semenciers se retrouvaient face à une rupture de stock. Une bonne partie des citoyens québécois devant rester à la maison ont pris la décision de cultiver un jardin sur une parcelle de leur terrain. Pour Mathieu Roy, producteur de légumes à Brébeuf, dans les Laurentides, et copropriétaire de la ferme La Récolte de la Rouge, c’est une bonne nouvelle puisque « faire pousser notre propre bouffe, c’est faire lien avec notre alimentation ».

© La Récolte de la Rouge

Cette forme d’agricul­ture à petite échelle, composée de petits jardins, de quelques plants de tomates, de quelques légumes, se présente déjà comme un bon début pour apprivoiser l’autonomie alimentaire à la maison. Vers la fin de l’été, les grands détaillants n’avaient plus de pots Mason sur leurs tablettes, du jamais vu. On peut imaginer que ces pots ont servi pour faire des conserves, de la sauce tomate, du « cannage », des confitures et toutes sortes de réserves pour la saison froide. Plusieurs personnes ont réappris le plaisir de cuisiner soi -même, pour ainsi évacuer les produits transformés de leur alimentation.

© La Récolte de la Rouge

Pour Julie Aubé, nutritionniste passionnée de saveurs du territoire québécois, les aliments ne sont pas des biens de consommation comme les autres ». Il est temps de se questionner sur nos réflexes individuels d’achats. Cesser de chercher à tout prix les aubaines et plutôt « envisager un système alimentaire qui ne vise pas le cheap et le bas prix, mais l’équité et la préservation de la vie ». Prioriser la qualité face au volume et respecter le rythme des saisons. Voilà probablement une des clés, mais il en existe plusieurs.

Comment pouvons-nous prioriser les aliments qui proviennent du territoire québécois et diminuer notre consommation d’aliments importés? Le premier geste est de diriger nos achats directement chez les producteurs lorsque cela est possible. En allant directement à la source du produit, en plus d’évacuer les intermédiaires, nous allons chercher un contact humain qui est pratiquement exclu du supermarché. Pour le copropriétaire de la ferme La Récolte de la Rouge, c’est ce dont nous avons besoin actuellement, de chaleur humaine, de retisser des liens dans les communautés et entre nous : « Ce que je remarque, c’est l’ouverture des gens vers l’alimentation, mais pas nécessairement vers l’humain. » Immanquablement, il demeure peu probable d’obtenir ce type de contact humain dans un Costco, un Wal-Mart ou n’importe quel autre supermarché. Pour Mathieu Roy, « l’autonomie alimentaire passe par le lien privilégié entre le consommateur et l’agriculteur, cela permet de poser un visage sur notre alimentation ».

© La Récolte de la Rouge

Au fil des années, nous avons intégré inconsciemment des besoins alimentaires dictés par l’abondance et l’offre de produits de tous les horizons de la planète. Ces fruits et légumes disponibles en abondance et en tout temps sur les tablettes des supermarchés deviennent en quelque sorte une normalité pour nos yeux de consommateurs modernes, même si la majorité de ces produits sont issus de grands conglomérats qui se soucient peu du sort environnemental qu’ils laissent derrière eux.

© La Récolte de la Rouge

L’agriculture de proximité

L’agriculture de proximité, bien qu’elle gagne en visibilité d’année en année, a encore peu de place sur les étagères des épiceries au Québec, soit moins de 10 % 1. Pourtant, valoriser l’achat local dans nos communautés et sur les lieux de vente permettrait de développer une économie de proximité et d’organiser de manière plus écologique la production de nos aliments. Il y a toujours un cout environnemental pour chaque aliment, qu’il soit produit ici ou ailleurs. Le cout réel d’un aliment est rarement considéré sur le prix de vente, surtout lorsqu’il est question d’une agriculture industrielle qui vise des marchés internationaux.

© La Récolte de la Rouge

Manger local, c’est aussi réduire son empreinte carbone. Demandons-nous collectivement s’il est normal, et souhaitable, de consommer des aliments provenant de plus de 2000 km de leurs lieux de production. Questionnons-nous sur l’origine et la traçabilité de ce qui se retrouve dans notre assiette. Et si investir dans notre alimentation, c’était aussi investir dans notre santé collective?

La gestion de l’offre

Bien que souvent critiquée et remise en question, la gestion de l’offre est une structure qui a pour effet de protéger les petites fermes familiales. Certaines améliorations pourraient mener à un peu plus de souplesse envers les petits éleveurs, notamment en élargissant les limites d’élevage hors quota. Reste que ce système permet au Québec de produire des œufs, du lait et du poulet pour suffire à sa demande intérieure. Ce qui veut dire qu’il est plutôt marginal de voir des produits importés concurrencer les producteurs laitiers et les producteurs avicoles d’ici. Il reste quelques exceptions et quelques failles, mais bien qu’il soit parfois critiqué, ce système a fait ses preuves en termes d’autonomie alimentaire. Il s’érige, d’une certaine manière, comme un rempart face aux pratiques de dumping* des différentes multinationales alimentaires. Appliquée à l’alimentation, la gestion de l’offre permet de protéger les producteurs, et les familles d’ici, des fluctuations de prix sur les marchés internationaux.

Des pistes de solutions

Comment concilier un rythme de vie effréné avec une autonomie alimentaire sans pour autant faire un retour en arrière? C’est la question que soulève Mathieu Roy et qui est sur les lèvres de plusieurs consommateurs. Plusieurs choix s’offrent à nous.

D’abord, faire des réserves et congeler en période de récolte. Cela reste une habitude à acquérir et s’avère beaucoup moins compliqué qu’on ne le croit! Cette pratique de consommer des aliments de proximité pour en faire des stocks limite les effets négatifs du transport sur l’environnement et permet en plus de créer des liens avec les agriculteurs d’ici. Cela peut aussi s’avérer une activité ludique faite en famille et un bon moyen de sensibiliser les enfants à la saisonnalité des aliments.

Penser à notre rapport à l’éducation pourrait être collectivement une initiative importante pour revaloriser le métier d’agriculteur et ceux de tous les domaines touchant à l’alimentation. On sous-estime à quel point l’éducation peut être un vecteur de changement pour une société. Et si nous repensions l’école afin de former des citoyens et citoyennes dotés de jugement critique sur l’alimentation? Julie Aubé, nutritionniste, auteure et conférencière propose d’inclure l’alimentation et l’agriculture au cursus de base des institutions scolaires. Il est vrai que de la petite école jusqu’au cégep, il est peu question de sujets comme l’alimentation et l’agriculture. Pratiquement aucun cours n’est offert sur ces sujets si importants. Il semble qu’ils soient, pour le moment, relégués au domaine de l’éducation parentale.

Évidemment, le climat nordi­que du Québec ne sera jamais propice à la production de citrons, de limes, de clémentines ou d’oranges. Alors comment remplacer nos envies d’acidité? Quant aux plantes, la rhubarbe présente un taux d’acidité assez élevé tout comme les petits fruits (la framboise, l’airelle, l’argousier et le bleuet) qui peuvent se consommer congelés, en purée, en sirop et de plusieurs autres façons!

Chez Beau Mont, restaurant de Normand Laprise qui valorise le terroir québécois, on remplace la tarte traditionnelle au citron par une tarte à l’argousier. L’acidité de la petite baie orange, d’une saveur exceptionnelle encore trop peu connue, possède un gout tropical de fruits de la passion. C’est un fruit qui est de plus en plus cultivé au Québec et qui, avec une certaine volonté politique et des leviers financiers et médiatiques pour l’accompagner, pourrait facile­ ment remplacer le jus d’orange que l’on retrouve sur les tablettes des supermarchés. Car en plus d’avoir des saveurs d’agrumes, l’argouse contient de 10 à 20 fois plus de vitamines C qu’une orange et elle pousse ici, au Québec!

© Restaurant Beau Mont, tarte à l’argousier

Bon à savoir

Aliments du Québec

Seulement 35 % des aliments produits au Québec2 sont consommés ici. Selon le ministre de l’Agriculture du Québec, André Lamontagne, c’est plutôt 51 %3 que le Québec produit pour sa consommation. La nuance, dans le calcul du ministre, est qu’il additionne les produits importés (fruits, légumes) qui sont transformés ici sous le sceau « Aliments préparés aux Québec ». Ce qui veut dire, par exemple, qu’une framboise du Chili transformée en tarte par une boulangerie au nord de Lanaudière serait statistiquement un « Aliment produit au Québec »…

Coût environnemental

La framboise de la Californie

1 tasse de pétrole par clamshell (cout du transport)

Source : Sébastien Brossard, agroéconomiste pour Les Fraiches du Québec

1 Selon Patrick Mundler, professeur titulaire à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/577339/sur-notre-difficile-souverainete-alimentaire

2 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1741053/autonomie-alimentaire-carbone-agriculture-quebec-semaine-verte

3 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1751016/agriculture-fruits-legumes-achats-local-producteurs

***

5 gestes concrets pour maximiser notre autonomie alimentaire selon Julie Aubé :

  1. Mettre l’agrotourisme au menu des fins de semaine et des vacances, et en profiter pour remplir la glacière. Lorsque viendra le temps de cuisiner les victuailles, on sera inspiré par le souvenir des paysages et des histoires racontées durant la visite.
  2. S’attabler dans un restaurant qui sert un burger de bœuf nourri à l’herbe d’une ferme bien de chez nous.
  3. Sortir en plein hiver ses fruits congelés durant l’été et lire sur le sac d’inscription « Récolté en juin/Paradis des fraises, Lavaltrie » plutôt que « Produit du Chili ».
  4. Servir à sa famille un plat dont les ingrédients proviennent de villages ou de fermes que l’on peut nommer.
  5. Cultiver une curiosité sur la façon dont sont produits nos aliments, tout simplement.

Source: Julie Aubé (2020), Mangez local! – Recettes et techniques de conservation pour suivre le rythme des saisons, Les Éditions de l’Homme.

*Le terme de dumping désigne une diminution des contraintes en matière de protection sociale et de protection de l’environnement. L’entreprise cherche à vendre à perte sur un marché extérieur (dans un autre pays) afin de préserver sa présence sur les tablettes d’épicerie. Les multinationales effectuant ce type de pratiques sont souvent largement subventionnées par leur pays d’origine.

Pour en apprendre plus sur les argousiers : http://argousier.qc.ca/

Merci à Mathieu Roy de la ferme La Récolte de la Rouge. Informations : http://www.larecoltedelarouge.com/

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